Comme pour d’autres branches économiques, la pandémie de coronavirus a accéléré les tendances qui se dessinaient déjà dans l’immobilier. «Le semi-confinement a montré que la maîtrise du chez-soi est devenue importante. C’est un gage de sécurité pour l’avenir. On s’est rendus compte que vivre dans un logement adéquat est plus important que de rouler avec une grosse voiture», relève Grégory Marchand, directeur de Barnes Suisse.
L’indice de la demande de logements, qui se base sur les abonnements de recherche conclus auprès des grands portails internet, est un bon indicateur. «Il montre une hausse de la demande pour des appartements plus grands et pour des biens situés dans le périurbain et dans les zones rurales. Le développement du télétravail nécessite d’avoir une pièce supplémentaire. Il permet de vivre à la campagne où les prix sont plus attractifs», observe Bertrand Mingard, directeur pour la Suisse romande de Realmatch360 qui agrège ces données. «Toutes les recherches, précise-t-il, ne finissent évidemment pas sur des acquisitions de biens, mais nos statistiques donnent la tendance du marché.»
De même, les acteurs de la branche présents dans les Préalpes et les Alpes indiquent un regain d’intérêt pour résider à la montagne. De nombreuses stations enregistrent une hausse des ventes de résidences secondaires. Mais les prix sont restés stables en raison du stock élevé de biens à écouler sur le marché.
Si les PPE continuent de séduire les Suisses, les maisons individuelles restent le rêve d’une vie pour la majorité d’entre eux. D’après les auteurs de l’étude annuelle publiée par le cabinet d’expertises immobilières Acanthe, «les craintes à l’égard de nouveaux épisodes épidémiologiques pourraient renforcer la demande en villas au détriment des PPE, car profiter d’un espace extérieur privatif devient un luxe en temps de confinement». Or, en raison de la législation fédérale sur l’aménagement du territoire, l’offre est déjà insuffisante pour répondre aux besoins de la population.
La hausse de la demande a poussé les prix du marché vers des records historiques. «Comme dans toute la Suisse, les maisons individuelles et les PPE affichent dans les cantons francophones une croissance relativement importante sur une année», indique Roxane Montagner, responsable du Centre d’information et de formation immobilières (CIFI) pour la Suisse romande. Selon une étude publiée par UBS, «les prix de l’immobilier résidentiel – à l’aune de la moyenne des prix au mètre carré demandés pour les appartements en copropriété et les maisons individuelles de bonne qualité – ont augmenté dans trois quarts des communes suisses. Cette part était de 60% il y a un an, et de 50% seulement il y a deux ans.»
La cherté des logements et les exigences élevées en matière de financement limitent l’accès à la propriété, en particulier dans l’arc lémanique. «Les conditions fixées pour utiliser son 2e pilier et la politique bancaire sont trop rigides. Elles pénalisent la jeune génération. Les banques devraient assouplir le calcul des charges en réduisant le taux d’intérêt pris en compte de 5 à 3%, d’autant qu’aucun relèvement du loyer de l’argent n’est agendé pour les prochaines années», souligne Roxane Montagner.
Aucun retournement de tendance n’est prévu. Au contraire. «Plusieurs arguments militent pour une poursuite de l’augmentation des prix. Les taux d’intérêt qui restent bas soutiendront la demande, alors que l’offre de biens diminuera en raison de la baisse des nouvelles constructions. Les acquéreurs potentiels qui travaillent dans des branches à forte valeur ajoutée seront aussi moins affectés par les conséquences économiques de la pandémie», constate Hervé Froidevaux, associé de Wüest Partner.
Les économistes d’UBS ne sont pas pour autant inquiets. Ils estiment que leur indice de bulle immobilière, qui a subi de fortes fluctuations en raison de la crise du coronavirus, devrait sortir de nouveau nettement de la zone à risque à partir de 2021. La Banque nationale suisse (BNS) reste toutefois vigilante. Lors de sa dernière conférence de presse, qui s’est tenue le 17 décembre dernier, elle s’est exprimée sur les menaces potentielles pesant à la fois sur les établissements bancaires et les emprunteurs. «La vulnérabilité accrue du marché des prêts hypothécaires et de l’immobilier résidentiel constitue (dans le contexte actuel) un facteur de risque supplémentaire pour les banques. Si la pandémie devait avoir des conséquences plus lourdes que prévu sur le revenu des ménages et des entreprises, il pourrait en résulter une correction des prix sur le marché immobilier», a souligné Félix Zurbrügg, vice-président de la direction générale de la BNS. «En même temps, a-t-il insisté, ces baisses de revenu pourraient conduire à une matérialisation du risque, historiquement élevé, lié au dépassement de la capacité financière des emprunteurs. Chacun de ces deux facteurs détériorerait la qualité du portefeuille hypothécaire des banques axées sur le marché intérieur.»